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Hommages 1921 - 1921 Ernest COTELLE
Discours
Prononcés au cimetière français de la Belle-Motte
Dimanche 21 août 1921
_______________________
I
Discours prononcé par M. COTELLE, Professeur au Lycée de Saint-Brieuc.
Monsieur Cotelle a donné ses deux fils à la patrie et son glorieux ainé le sous-lieutenant Saint-Cyrien Georges C… tombé à Le Roux, repose au cimetière de la Belle-Motte.
Pour comprendre un passage du discours que l’on va lire, il faut savoir que la veille du départ de M. Cotelle pour la Belgique, ses jeunes élèves, sans en parler à leurs parents, spontanément se cotisèrent pour offrir à leur Professeur, la petite croix blanche cravatée aux couleurs de France qui orne aujourd’hui la tombe du sous-lieutenant Cotelle.
« Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
« Ont droit, qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie. »
C’est pour cela, mesdames, messieurs et chers amis, qu’une fois encore, la troisième depuis l’armistice libérateur, vous accomplissez en ce lieu funèbre, votre pieux pèlerinage. Cette année j’ai pu, et d’autres avec moi, venir apporter à nos chers disparus toute la tendresse de notre amour, toute la fierté de notre douleur. Mais si, après une trop longue absence, sentir de nouveau près de soi ces biens-aimés, rouvre une blessure que le temps, j’en ai la certitude, ne parviendra jamais à cicatriser, c’est pour nous en revanche un puissant réconfort de contempler de nos yeux ce que vous me permettez d’appeler « un coin de terre de France » – n’est-il pas fait de la cendre des enfants de France ? – transformé, selon l’expression de l’un de vous, en un « petit paradis » ; ces 376 tombes uniformes, toujours entretenues et somptueusement parées aujourd’hui par les soins du si dévoué M. Pêtre, qui, n’en déplaise à sa modestie, est vraiment la Providence de nos morts ; ces 376 petites croix, alignées comme des soldats à la parade, telles qu’une description fidèle et des photographies me les avaient représentées ; ces 376 nœuds et écharpes tricolores, hommage de nobles femmes de Belgique, mères et épouses, aux soldats de la France ; la terre sur laquelle les fleurs rouges des géraniums jettent leurs taches de sang ; la lourde ogive de cette chapelle laissée inachevée par l’ennemi en déroute, pavoisée de nos drapeaux vainqueurs, tandis qu’aux murs pendent les couronnes qui disent votre admiration et votre gratitude. En utilisant ces murs, en les complétant, la piété belge les épure, messieurs ; en les faisant siens, elle nous les rend chers, geste délicat, jamais le dernier, d’un peuple qui a toutes les délicatesses de l’esprit et du cœur. Partout, flottent nos trois couleurs, c’est encore elles, symbole de la Patrie, qui ferment l’horizon et cet horizon, Messieurs, est une frontière (1). Belle-Motte ! Oui, Belle-Motte nom mérité et aussi Bon Repos !
Mais, mieux que tout cela, je vous retrouve vous-même, mes chers amis, fidèles au rendez-vous traditionnel. Vous êtes venus plus nombreux et plus recueillis que jamais, non seulement de Le Roux, mais encore des communes voisines, de Presles, Aiseau, Falisolle, Vitrival, Sart-Eustache et de plus loin encore ; vous êtes venus de la ferme et du château, de l’atelier et de la mine assister à cette fête du Souvenir ; et je salue vos étendards qui fraternellement mêlés aux nôtres, donnent à cette cérémonie toute sa patriotique signification.
Vienne par surcroît, grâce au concours apprécié des deux sociétés de musique, votre Brabançonne ailée faire écho aux accents enflammés de notre Marseillaise, et nos âmes, j’en sûr, vibreront à l’unisson d’un amour ardent et commun pour nos deux patries. Qui l’eut dit ? Ces paroles vieilles d’un siècle, qui hier encore à nous autres Français de l’Ouest semblaient hyperboliques et surannées :
« Entendez-vous dans vos campagnes
« Mugir ces terribles soldats,
« Qui viennent jusque dans vos bras
« Egorger vos fils, vos compagnes ? »
retentissent aujourd’hui douloureusement dans nos cœurs, dans les vôtres surtout, mes chers amis, qui êtes encore sous le coup des atrocités allemandes.
En revanche, à l’impérieux appel :
« Aux armes, citoyens
« Formez vos bataillons, »
il me semble voir surgir de leurs tertres en fleurs les soldats de Belle-Motte, pour courir à l’ennemi avec leurs frères de Belgique toujours prêts à défendre « Le Roi, le Droit, la Liberté. »
Vous voici, jeunes écoliers de Le Roux, les mains chargées de fleurs. Tout petits, vous avez assisté inconscients à ce grand drame où se jouait l’avenir du monde ; mais si, grâce à Dieu, vous êtes la génération de la Victoire, n’oubliez jamais que cette Victoire fut chèrement achetée. Je n’ai pas de crainte à ce sujet : dans vos familles, à l’école, à l’église, des gens de cœur entretiennent dans vos âmes le feu sacré qu’avivera la vue de ces tombes. Souvenez-vous, mes enfants, souvenez-vous !
Près de vous sont vos aînés d’hier, la jeunesse de Le Roux, les soldats de demain groupés autour de leur drapeau, prêts à prendre la place des Anciens Combattants, qui leur ont donné l’exemple du courage et de l’abnégation. Ah ! mon cher Monsieur Adrien Challe, laissez-moi vous dire que les belles paroles jaillies de votre cœur sont allées droit au nôtre ! Aux anciens combattants de Le Roux sont venus se joindre leurs vaillants camarades de Sart-Eustache, d’Aisemont et de de Falisolle. Le bon exemple est facilement contagieux, quand les mêmes sentiments inspirent toutes les âmes nobles. A l’instigation de l’un de vous, auquel va notre commune vénération, vous avez pris l’initiative de cette touchante cérémonie et le prêtre-soldat, de sa main consacrée, a bénit les restes qui nous sont chers, comme demain il offrira le divin sacrifice pour ceux qui, eux-mêmes, se sont sacrifiés. Qu’avec vous tous, mes chers amis, il soit personnellement remercié !
Il est quelqu’un encore que je suis particulièrement heureux de retrouver ici, parce qu’il sut imposer à l’ennemi sa présence aux exhumation et qu’il mit tout son cœur au service de nos morts ; et je voudrais en ce jour mémorable le charger d’une mission que son rang lui permettrait de remplir. Comme vous le savez, messieurs, les Allemands dans leur fuite précipitée emportèrent le plan numéroté de ce cimetière et en dépit des judicieuses déductions de M. Pêtre, le plus souvent vérifiées par la suite, il eût été imprudent de fixer à chaque occupant une place définitive parce qu’incertaine.
C’est alors que, profitant du débarquement à Brest de votre noble Roi, j’écrivis à Sa Majesté, qu’en traversant notre Bretagne, dont les fils peuplaient si nombreux les cimetières de Belgique, elle sentirait le cœur des mères et des veuves se tendre vers Elle, et je la suppliais d’intervenir pour que revienne d’Allemagne ce document si nécessaire à l’identification des tombes. Le Roi me fit répondre immédiatement par Monsieur le Comte d’Arschot, l’aimable chef de son cabinet, que ma requête avait été transmise à Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères et que tous les efforts seraient faits pour que j’aie satisfaction. Deux lettres consécutives me mirent au courant des négociations diplomatiques et une quatrième me transmettait enfin le plan arraché à l’Allemagne, Messieurs, si le Roi Albert Ier de Belgique, en répondant à Guillaume : « Tu ne passeras pas » s’est acquis l’admiration du monde et a écrit son nom au grand livre de l’Histoire, par ce petit fait il a une fois de plus ajouté au rayonnement de sa gloire, l’auréole de la Bonté. Cela ne vous étonne pas, messieurs ; moi non plus ; mais vous deviez le savoir et c’est une raison de plus, n’est-ce pas, pour qu’ensemble nous priions Monsieur le Comte d’Oultremont de déposer aux pieds de Sa Majesté le tribut de notre commune et respectueuse reconnaissance.
Enfin, m’adressant au Conseil Communal, à mon excellent ami, Monsieur le Bourgmestre Tahir, qui associe à la nôtre sa douleur de père, à Monsieur Achille Challe, 1er Echevin, qui deux fois déjà voulut bien, en pareille circonstance me servir d’interprète, je les prie de transmettre à la population toute entière la reconnaissance des familles françaises. Notre fraternelle commisération va tout naturellement à ceux de vos compatriotes qui ont souffert au cours de l’occupation allemande, notamment aux civils innocents lâchement assassinés, à vos malheureux déportés que je salue ici bien bas et à ceux – et j’en connais – qui, restés là le jour de la bataille, recueillirent et soignèrent nos blessés.
Ah ! ces glorieux blessés, parmi lesquels j’avais cru longtemps qu’était mon fils, pendant que votre imposant cortège parcourait la route de Le Roux à la Belle-Motte, ma pensée émue les revoyait quittant votre maison hospitalière, père Léopold Challe, brutalement entassés sur ce camion allemand qui les emporta je ne sais où. Et à mesure que vous gravissiez cette nouvelle « voie sacrée » de ce cimetière, je songeais aux heures sanglantes de la tuerie et il me semblait voir à tout instant, embusqués à l’abri du talus qui borde le chemin, nos braves petits Français épaulant le fusil ou déchainant la mort derrière leurs trop rares mitrailleuses crépitantes. Combien de ces vaillants reposent ici dans ces tombes !
Et voilà que devant ces tombes se dresse vivante l’image de la Patrie personnifiée par les représentants des armées belge et française. La vue de ces uniformes en pareil lieu, à pareil jour émeut profondément nos âmes.
La France a remis à la Belgique le dépôt sacré de ses morts ; elle vous a confié, mon Lieutenant, ces morts glorieux et par ma voix, les pères et les mères, les veuves et les orphelins vous les confient à leur tour. Ils savent déjà que vous répondez à leur attente et qu’avec ceux qui se donnent entiers à cette tâche pieuse vous collaborez à l’entretien des cimetières militaires.
Quant à vous, Messieurs les Officiers du 25ème et du 47ème, nobles rescapés des combats de la Sambre et de 50 mois de guerre, au cours desquels la mort ne cessa de vous frôler, vous voilà revenus sur ce plateau ensanglanté, où, au dire d’un témoin oculaire, les cadavres groupés des « culottes rouges » de 1914 formaient comme « des bouquets de coquelicots » parmi l’herbe verte et l’or des blés ; vous n’avez plus la lourde charge d’en chasser l’ennemi refoulé outre Rhin, mais la douce mission de saluer, en bons camarades, les vaillants qui reposent en ces lieux. Vous leur direz, à ces morts glorieux et dans un magnifique langage, comment leurs régiments, les vôtres, les ont vengés. Ils le savent, messieurs, car leurs âmes légères et heureuses flottaient dans les plis de vos drapeaux le jour où la 20ème Division rentra dans Strasbourg reconquise. A ceux qui vous ont envoyé, malgré les nécessités de l’instruction militaire ; à Monsieur le Ministre de la Guerre et à son collègue des Finances, Monsieur Doumer, deux pères qui, comme nous, ont donné leurs fils à la France ; à Monsieur le Général Passaga aussi, vous porterez l’hommage de notre respectueuse gratitude.
Vous direz de plus au grand soldat, comme vous ancien combattant de Charleroi, et que le 10ème Corps d’Armée a l’honneur et la bonne fortune d’avoir à sa tête, que nos amis de Belgique ont eu connaissance des sentiments qu’il m’exprimait à leur égard dans cette belle lettre :
« Monsieur,
C’est avec une profonde émotion que j’ai lu dans votre lettre du 19 juillet l’exposé des manifestations patriotiques que nos grands amis de Belgique préparent pour commémorer le sacrifice glorieux de nos soldats dans la grande guerre.
Je vous serai reconnaissant de bien vouloir leur transmettre et notamment à Monsieur Pêtre, l’expression de mon admiration et de la gratitude de l’Armée française et du 10ème Corps en particulier.
Les liens formés entre nos deux pays au cours de la guerre ont été trop puissants pour que le temps puisse les affaiblir. Il n’en est pas moins réconfortant et consolant de voir nos alliés confondre dans la même affection leurs fils et les nôtres tombés pour la même cause. Dites leur que l’Armée française n’oublie ni la fraternité d’armes du champ de bataille, ni les malheurs de la Belgique, cette glorieuse nation sœur de notre pays. Veuillez être assuré que nous serons de cœur avec vous dans les manifestations auxquelles vous allez prendre part. »
Vous me pardonnerez, Messieurs les officiers, d’avoir traduit la pensée que votre Chef voulait bien m’exprimer à titre personnel, alors qu’il n’était pas question de faire de vous les interprètes de vos régiments.
D’ailleurs, vous en avez été l’écho fidèle. En rentrant en France vous direz seulement : « Mon général, mon Colonel, vos soldats de la Belle-Motte sont contents de vous ; soyez sans crainte, Bretons et Normands reposent honorés dans cette terre de Belgique où ils sont entourés d’amis. »
Et maintenant à ces amis ai-je besoin de dire pourquoi nous leur laissons nos morts ? certes, je m’incline avec respect devant le désir légitime de ceux d’entre nous qui, usant des facilité de la loi, ont transféré dans le cimetière du pays natal les restes de l’enfant ou du mari tombé sur la ligne de bataille. Il est doux, je le reconnais, il est consolant de se pencher souvent sur une tombe pour se recueillir et pour prier et de se dire : « Un jour nous dormirons ensemble notre dernier sommeil. » Mais ici, n’est-il pas vrai, les morts de chez nous sont chez eux et la terre d’exil ne commence qu’au-delà de la frontière d’Allemagne. Qu’ils restent donc où la Providence a fixé leur sépulture. Où d’ailleurs seraient-ils plus honorés ? Non contents de leur témoigner dans vos visites fréquentes et dans ces manifestations solennelle votre constante sollicitude, non contents d’orner perpétuellement ce cimetière, que vienne parfois fleurir les enfants de vos écoles et les jeunes filles de vos patronages, vous avec affirmé sur la Croix, qui en demeure le témoin et le garant, la foi de vos engagements : « Amis, avez-vous dit, une population reconnaissante veille sur vos tombes. » et bien ! Messieurs, dans quelques années, qui veillera sur les nôtres ? Les morts vont vite ; le Génie et l’héroïsme seuls ont droit à l’immortalité. Les héros de la Grande Guerre, héros de Liège et de la Picardie, de l’Yser et de la Marne, de Charleroi et de Verdun, seront éternellement l’objet d’un culte sacré et les cimetières militaires de France et de Belgique une sorte de lieux saints.
Et puis pour un soldat, je vous le demande, Messieurs les Officiers, la plus belle des sépultures n’est-elle pas la terre du champ de bataille ? « Dans ces cimetières du front, a dit Monsieur Maginot, le Ministre de nos morts, nos héros reposeront côte à côte, retrouvant au-delà du trépas cette sublime fraternité d’armes, dont la grandeur et la beauté adoucirent pour eux tant de sacrifices. »
Quant à moi, je suis sûr d’interpréter la pensée, que dis-je ? la volonté de mon enfant en laissant là ce vaillant Cyrard au milieu de ses hommes, de ses camarades et de ses chefs. « Que nos chers disparus, m’écrivait la veuve d’un capitaine, restent unis dans la tombe, comme ils le furent dans leur sublime sacrifice. Le mien – et le voici, Messieurs – l’aurait voulu. » Répondez donc à l’appel, Officiers de la Belle-Motte : capitaine Lorentz ? Présent. – Capitaine Renucci ? Présent. – Lieutenant Bricout ? Présent. – Sous-lieutenant Cotelle ? Présent. – Sous-lieutenant Le Gabier ? Présent. – Adjudant Duruel ? Présent. – Tous présents, Messieurs ; oui, tous présents, car s’il en est quelques-uns, peu nombreux, qui partiront, ils ne partiront pas tout entiers ; ils auront laissé cette terre imprégnée de leur chair et de leur sang
Croix de bois de Pierre BRICOUT et Georges Cotelle Sépulture de Henri LORENTZ . Avant que vous ne quittiez ce cimetière, rapatriés de la Belle-Motte, je tiens à vous adresser à tous et particulièrement à vous, Sous-lieutenant Rouquier et Sous-lieutenant Pallez, un affectueux adieu. Nous aurions voulu vous garder près des nôtres, mais la terre de France, où vous attendent des êtres aimés, vous réclame : et sa voix, je le comprends, est plus persuasive et plus puissante que la nôtre.
Georges RENUCCI et Ernest PALLEZ D’autres prendront votre place ; et la vôtre, Sous-lieutenant Pallez, est d’ores et déjà réservée à un brave petit Breton comme vous, élève cher à mon cœur, le sergent Gabriel Bizault du 71ème régiment d’infanterie. « Tombé à Falisolle, vous serez donc le bienvenu à Belle-Motte, mon cher Gabriel, où vous reposerez près de Georges Cotelle, votre ancien camarade du lycée de St-Brieuc ; et nos deux enfants, conformément au désir de vos chers parents et au mien, seront réunis dans la même terre, comme ils le sont déjà dans notre commune affection. »
Son voisin, vous le voyez, sera comme lui un brave sous-officier du 47ème, inconnu celui-là, un de ces 100 inconnus de Belle-Motte, – à Verdun ils sont plus de 300.000 ! – qui hélas ! n’ont pu être identifiés.
Je vous salue avec une tendresse particulière, pauvres morts anonymes, qu’au jour anniversaire de la Victoire, la France a voulu glorifier collectivement en conduisant l’un de vous à l’Arc de Triomphe de l’Etoile ; et ma piété fraternelle va vers ceux qui vous cherchent en vain, n’ayant pas comme nous la suprême consolation de s’agenouiller devant une tombe.
A l’un de vous, le caporal Kermarec, j’apporte le souvenir ému d’un vieux père inconsolable et d’une sœur aimée, qui m’en ont chargé.
Dussé-je en présence de ces 376 tombes également chères paraître abuser des personnalités, je m’en voudrais, Messieurs, de ne pas signaler à votre attention la petite croix blanche cravatée aux couleurs de France que je dépose, au nom de mes élèves, sur la tombe du sous-lieutenant Cotelle. Laissez-moi vous dire combien il a touché mon cœur de père et de professeur ce geste si délicat des chers enfants confiés à mes soins.
Quant à vous, vous y verrez la certitude réconfortante que la génération qui monte n’oublie pas et sera digne de nos glorieux ainés.
Je m’en voudrais aussi de ne pas remplir la promesse que j’ai faite à une mère admirable entre toutes. Cette mère, on la connaît ici, pour la revoir deux fois l’an quinze jours durant. Elle vient de notre Bretagne, à ses frais, abandonnant le modeste commerce qui est son gagne-pain et passe toutes ses matinées dans ce cimetière près de son petit Joseph. « C’est là, m’écrivait-elle, que je me trouve heureuse. Il n’en sera pas de même le jour prochain où je devrai le quitter encore, mais nous autres, nous nous plions à tous les sacrifices. » Pauvre mère, il fut grand votre sacrifice, car le petit soldat que vous pleurez n’était pas seulement le seul être aimé qui vous restait dans votre veuvage, il était encore l’enfant admirable qui vous dit un jour après vous avoir lu quelque passage d’un livre sur les Grandes Françaises de 1870 : « N’est-ce pas, maman, que toi aussi tu donnerais bien ton petit gas pour la Patrie ? » Et vous l’avez donné votre unique petit gas ; car lui, digne émule du lieutenant Bricout, il s’était avec son vaillant chef fait tuer sur ses mitrailleuses. Vous me permettrez, Messieurs, d’apporter au petit Joseph un peu de la tendresse de sa chère maman. Aussi bien de tels exemples ne sont pas inutiles, puisqu’ils vous montreront ce que ce cimetière représente de haute vertu et de cruels sacrifices.
Nous aussi, comme cette mère, nous éprouvons une âpre jouissance à incliner notre douleur vers ces tombes. Et cependant nous avons voulu qu’ils dorment là, nos bien-aimés, par respect pour leurs restes sacrés. Ne violons pas, de grâce, l’horrible secret du tombeau et n’allons pas remuer « ce je ne sais quoi, dit Bossuet, qui n’a de nom dans aucune langue. » Gardons de nos morts le souvenir de ce qu’ils furent vivants. O douce et douloureuse évocation !
Pères et mères qui m’écoutez, vous revoyez votre enfant sous l’image du petit être qui vous tendait ses bras potelés pour les enrouler autour de votre cou ; il revit devant vous, le garçonnet espiègle et mutin, dont les câlineries savaient trouver le chemin de votre cœur, l’écolier déférent et studieux, l’adolescent devenu homme qui devait être l’appui et la joie de vos vieux jours. Vous l’avez vu partir, voilant d’un sourire l’angoisse qui l’étreignait, non pas qu’il redoutât la mort pour lui, mais à cause de vous. J’en connais un qui écrivait le 1er Août 1914 : « Je n’ai jamais été si heureux. La libération de l’Alsace et de la Lorraine, c’était un rêve que votre génération n’osait plus faire et que nous allons réaliser, si Dieu le veut. » Un autre : « Je vous dis à tous « Au revoir » en donnant à chacun tout mon cœur. Je suis heureux que toute la famille n’ait qu’une pensée tendue vers la gloire de la France. » Un troisième… mais à quoi bon répéter ce que tous pensaient.
Qui que vous soyez, Madame, le vôtre valait le mien. Vous ne l’avez pas vu mourir, – Dieu vous a épargné ce supplice – mais soyez sûre que sa dernière pensée aura été pour vous. Devant ses pauvres yeux à demi-éteints il a entrevu confusément sa chère maman, qui se penchait sur sa tête mourante et comme autrefois berçait son sommeil ; mais l’image sainte de la Patrie lui est apparue… et il est mort consolé. Pendant quatre ans vous avez en vain cherché la fosse commune où sans doute il reposait, douloureusement ballottée entre l’espoir fragile qui soutient et la cruelle certitude, n’ayant personne en territoire occupé pour s’intéresser à vous et à lui, moins heureux en cela que nous, pour qui la Providence avait fait naître chez des amis inconnus un dévouement aussi modeste qu’admirable.
Et vous, Madame, qui pleurez un mari tendrement aimé et le père de vos enfants, maintenant orphelins, vous revivez par la pensée un passé de bonheur à jamais évanoui ; le temps où, radieuse fiancée vous souriiez à l’avenir ; où, jeune mère, vous partagiez votre amour entre ces deux êtres également adorés, le père et l’enfant. Homme du devoir, sans hésiter, il a tout quitté pour voler à la frontière. En partant, il vous a dit : « Tu veilleras sur eux et leur parleras de moi… si je ne reviens pas. » Et il n’est pas revenu… mais, malgré l’énormité de son double sacrifice, il a été fort comme il l’avait promis. Vous le serez aussi, Madame ; et vos enfants, les siens, auront avec un grand exemple pour les guider dans la vie un protecteur qui, du ciel veillera sur eux.
Oh ! oui, que seule la vision du bonheur d’autrefois illumine et réchauffe notre pauvre cœur brisé. Les morts sont où nous sommes ; à nous de vivre avec eux.
« Les morts n’oublient jamais que ceux qui les oublient :
« Il ne tient qu’à l’amour de les ressusciter. »
Les nôtres, couchés dans la gloire et dans l’immortalité n’ont-ils pas d’ailleurs la meilleure part ? Une mère chrétienne, à qui la guerre a pris comme à nous ses deux fils, me disait récemment : « Sans doute je les revois partout ici-bas ; mais je les vois surtout plus haut, très-haut, là-haut ! » Vision consolante que des tranchées de Verdun évoquaient de saisissante façon le poète-soldat, Marc Leclerc, dans son savoureux patois de l’Anjou. Il nous dépeint le Poilu paraissant devant Dieu :
« Enfin me v’la d’vant vous à c’t’heure :
« J’sis eune âme sans corps et sans d’meure.
« Seigneur, Seigneur, si j’ons fauté,
« L’aurais-je donc point assez rech’té ?
« J’ons pus d’sang et me v’la tout blême !
« Voyez la plaie à mon côté.
« Et voilà que l’bon Dieu sourit
« Et qu’ derrière lui le Ciel s’ouvrit.
« Et l’Poilu vit qu’ parmi les Anges
« I s’était produit du mélange :
« Y avait aussi au milieu d’eux
« Des tas d’poilus, l’air ben heureux,
« Avec des capotes bleu d’azur
« Qu’avaient l’air d’êt’ faites sur mesure
« Et sur la tête des casqu’ en or.
« Et l’poilu s’assit dans la foule
« En chantant d’tout cœur avec eux :
« Gloire à Dieu au plus haut des Cieux !
Il en est ainsi, Messieurs : un Dieu clément a tenu compte à ces vaillants de leur sacrifice « Illi Victores quia victimæ. »
« Ils ont souffert : c’est une autre innocence !
« Ils ont aimé : c’est le sceau du pardon ! »
J’en ai fini, messieurs, de ce trop long discours. Est-ce ma faute, après tout, si j’ai tant de braves gens à remerciés ? Permettez-moi toutefois de vous donner en terminant une preuve émouvante de l’amitié belge, telle qu’en son temps la rapporta le grand journal l’Illustration. « Certains prisonniers français, alors qu’on les transportait en Allemagne, blessés ou malades, ne purent être menés plus avant et succombèrent dans la petite ville de Huy. Deux jeunes filles, Mesdemoiselles Jeanne Lenoir et Matilde Grégoire, eurent la délicate pensée de réserver à ces infortunés héros une tombe, sur laquelle plus tard les familles pussent venir balbutier une prière. Ils sont là rangés sur la colline dans le petit cimetière de Sarte-lez-Huy ; et les deux jeunes Belges eurent pour exprimer ces sentiments de reconnaissance qui veillent au cœur de la Belgique entière une phrase touchante et simplement déposée comme le meilleur hommage sur la pierre qui les couvre : « Ils sont morts pour nous ! »
Oui, nobles filles de la Belgique, vous l’avez deviné : dans la grande guerre mondiale, tous nos morts, les vôtres et les nôtres sont morts pour vous, sont morts pour nous, indistinctement, car ils sont morts pour la liberté du monde. Le sang de tous ces héros a cimenté l’amitié indéfectible des Alliés.
Cette union des vivants, rendue plus étroite par la communion des morts, je la retrouve magnifiquement dépeinte dans ces stances du poète Rostand, regardant défiler les bataillons alliés au 14 Juillet 1919.
« Car ces détachements de dix gloires rivales
« Avaient eu le soin juste et beau
« De réserver entre eux de larges intervalles
« Au détachement du tombeau.
« Et ce fut un frisson plein d’espoir que le nôtre
« Quand nous comprimes tous alors
« Que ces peuples, naguère étrangers l’un à l’autre
« Marchaient réunis… par leurs morts. »
Fiction poétique, dira-t-on ; non, Messieurs, vérité incontestable, réalité qui s’impose aux diplomates eux-mêmes et qui s’oppose victorieusement aux calculs froids de l’égoïsme.
« Il est inconcevable, disait il y a 15 jours encore, tel homme d’Etat étranger à propos d’un malentendu sur une question de politique internationale, que deux pays qui firent d’aussi énormes sacrifices pour la cause commune et qui par tant de souffrances marchèrent au triomphe commun, puissent se quereller à propos d’une interprétation de la paix, qu’ils ont faite à un tel prix. » Oui, messieurs, à un tel prix ! Au prix de tant d’épreuves, au prix de tant de ruines, au prix de tant de deuils, au prix de ces morts que nous sentons ici près de nous et qui n’ont pas besoin de nous conjurer, nous autres Belges et Français, de rester unis. Liège, Charleroi, l’Yser, voilà les chaînons de pur airain qui rattachent indissolublement nos deux patries autant que l’affinité des races et la communauté des intérêts. Et voilà pourquoi dans toutes les circonstances critiques, comme aux heures tragiques de 1914, la France retrouve à ses côtés la Belgique fidèle, de même que l’accord militaire qui unit nos deux armées a réalisé le vœu de nos morts.
Dormez donc en paix, morts glorieux ! Désormais fortes par l’alliance, la France et la Belgique, sentinelles vigilantes, monteront la garde au Rhin et elles vivront dans la sécurité et la concorde.
Oui, Messieurs, elles vivront.
Vive la Belgique et vive la France !
Date de création : 10/12/2010 @ 11:14
Dernière modification : 27/01/2011 @ 15:59
Catégorie : Hommages 1921
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